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Ena Harkness

9 octobre 2004

C'était un matin clair, on était le premier jour

C'était un matin clair, on était le premier jour de l'automne et les feuilles dorées voletaient dans le ciel limpide. Elle s'avança au milieu de la cour où les derniers élèves regagnaient avec hâte leur salle de classe. Elle souriait, mélancolique, aux rayons de soleil balayés par les premières bises. Et puis son visage se referma, une larme perla sur sa joue comme une blessure qui se serait rouverte subitement. Jetant un dernier regard sur les bouleaux, elle se dirigea vers le grand escalier en pierre qui la mènerait aux salles de cours.
En rentrant ce soir là, elle eu la triste surprise de trouver la grande maison victorienne vide et silencieuse. Elle s'arrêta un instant devant la pendule de la salle à manger dissimulée dans la pénombre de la fin de journée. Il était presque cinq heures. Elle se rendit à la cuisine au fond de la maison. Sur la lourde table en chaîne un verre et une assiette de cookies l'attendaient. Elle examina l'encas d'un œil suspect. Derrière elle, une deuxième porte donnait sur le couloir de service. Elle se dirigea vers le réfrigérateur américain en inox. Soudain elle entendit quelqu'un dans le corridor. Elle se retourna, fixa l'obscure passage, mais rien n'arriva. Doucement elle ouvrit la porte réfrigérée et la referma d'un seul coup . Elle eu le temps d'apercevoir une ombre furtive qui passa à la salle à manger. Une goutte de sueur roula sur sa tempe. Elle revint à la table, saisit le verre prête à le ranger dans le buffet. Une porte claqua. Le verre se brisa sur la tomette rouge de la cuisine. Prise de panique elle attrapa son sac et retourna en courant jusqu'au hall. La double porte était verrouillée, la clé avait disparu. Elle entendait les pas se rapprocher rapidement. Ils s'arrêtèrent au milieu du hall. Lentement elle pivota, elle savait ce qui l'attendait. La lumière s'eteignit en silence avant qu'elle n'ai vu un visage. Une goutte de sang tacha le marbre immaculé de l'entrée.
Elle tira une nouvelle fois sur la manche de son gilet et entra dans la bibliothèque. Elle s'installa à une table libre et sortit son roman. En relevant la tête elle vit la lourde pendule qui dans le silence feutré sonna cinq heures. Dans les rayonnages quelqu'un claqua sourdement un livre. Elle sentit imperceptiblement sa main trembler sur le papier blanc où couraient les mots au fil d'une histoire romantique. Quelqu'un se tenait derrière elle, sans bruit, elle en était sûre. Elle se retourna si brusquement qu'elle tomba de sa chaise, il n'y avait personne. Elle observa les alentours, personne n'avait remarqué sa chute. Ne se sentant plus en sécurité, elle fourra rapidement son livre dans son sac et sortit presque en courant de la bibliothèque. Même là, elle ne serait plus tranquille. Arrivée chez elle, elle trouva son petit frère tout pimpant dans un costume bleu marine. Toute la famille sortait au théâtre ce soir là. Elle monta rapidement dans sa chambre. Les rideaux étaient ouverts et par la porte fenêtre entrait un parfum de pluie. Sur le petit guéridon elle aperçut une rose rouge sang. Une Ena Harkness. C'était sa rose, son nom, son honneur. Mais la vue de la fleur la fit frissonner. Il allait revenir, c'était sa signature. A côté, était posée une enveloppe. Elle l'a prit doucement et la décacheta un peu hésitante. La lettre qu'elle contenait était quant à elle, salvatrice; la seule chose qui la rendait vraiment vivante. Depuis longtemps elle communiquait par courrier. Ils étaient dans le même lycée mais ne sétaient jamais parlé face à face. Ils n'en n'avaient pas besoin. Et au travers leur correspondance secrète, elle avait trouvé en lui un confident. Parfois elle se réveillait en pleine nuit pour lui écrire, lui décrire le cauchemar qui la hantait et la détruisait un peu plus chaque jour depuis trop longtemps maintenant. Elle lut longuement, s'imprégnant de chaque mot, se rassurant ligne après ligne, savourant la petite lumière qu'il lui apportait dans l'obscure nuit de sa vie. Puis délicatement elle replia la lettre, la remis dans son enveloppe, lui donna un baiser et alla la ranger dans un tiroir secret de son secrétaire. Enfin elle se tourna vers le valet de nuit où reposait une longue robe noire à fines bretelles habillée d'un voile de la même couleur et parsemée de petits brillants noirs : encore une nouvelle. Après s'être rapidement lavée elle la passa, se coiffa et s'examina d'un œil triste dans le Mirror en pied de sa chambre. La pâleur de sa peau contrastait avec le vêtement sombre mais se qui choquait le plus c'était les cicatrices encore rouges qu'elles portaient sur les bras. Elle ne pouvait pas sortir comme ça. Elle fouilla dans son armoire et dénicha une paire de manchettes dans les mêmes tons et qui recouvraient parfaitement ses bras meurtris. Elle ferma ensuite les volets intérieurs et jeta la rose dans sa corbeille. Repassant devant le mirror, elle cacha un bleu, apparu le matin même, sur sa tempe gauche par une mèche et sortit en claquant doucement la porte.
L'orage avait longtemps grondé, puis la pluie l'avait suivi. Mais maintenant tout était calme. Le moindre petit bruit pouvait être perceptible. Et ce qui l'inquiétait le plus, c'était quand elle ne les entendait pas, quand tout devenait trop silencieux. Dans ces moments, il se cachait dans la pénombre, il l'observait. Parfois cela durait des heures et elle se sentait suffoquer de peur sous ses draps. Mais d'autres fois les choses étaient plus rapides et faisaient plus mal... Elle eu le temps de comprendre qu'il se jetait sur elle. Il l'a saisit à la gorge, sur l'artère et commença d'appuyer, fort, trop fort. Elle essaya de se débattre mais avec son autre bras il l'a maintenait contre le matelas ; elle voulut crier mais elle n'avait plus de souffle. Elle se sentait perdre pied, ses forces l'abandonnaient. Et puis elle se rappela de la lettre, de toutes les lettres et de leur auteur, le réconfort qu'il lui apportait et son soutient sans faille. Mais cette fois-ci il ne pourrait pas l'aider, elle allait mourir, il lui semblait avoir de plus en plus froid. Elle se réveilla en sursaut dans son lit, elle était trempée. Tétanisée, elle regarda autour d'elle, puis rassemblant son courage atteignit à taton l'interrupteur de sa veilleuse qui éclairait faiblement sa mezzanine. Elle se leva hésitante et se dirigea vers l'escalier en bois qui plongeait dans les ténèbres. Elle n'osait pas allumer le lustre en verre. La porte fenêtre était restée entrouverte derrière les volets intérieurs. Le bruits des gouttes d'eau résonnait par moment. La lueur blafard d'un des rares lampadaires éclairait son visage apeuré. Le fond de l'air était frais, mais elles frissonnait pour autre chose. Elle sentait encore la main assassine sur sa gorge. Scrutant l'obscurité, elle sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine avant de redescendre dans ce qu'il lui restait de tripes : quelqu'un se tenait dans lombre du réverbère, un homme. Elle resta à moitié cachée derrière les volets, elle voulait voir son visage, savoir si c'était lui, pouvoir le voir. Il traversa la rue et passa dans la lumière. Mais c'était son ange gardien ! L'auteur des plus belles lettres qu'elle n'eut jamais lu, il semblait inventer des mots juste pour elle. Sans réfléchir, elle attrapa sa robe de chambre en flanelle et se précipita en silence jusqu'à l'entrée. Elle se donna du mal pour ouvrir la lourde porte sans bruit, sortit et se mis à courir jusqu'au portillon où il s'était arrêté. Elle sentait la fraîcheur de la pierre sous ses pieds nus, sa longue chemise de nuit en coton épais frôlait le sol comme si elle flottait : une ombre fantomatique. Elle ouvrit la petite porte en fer forgé oubliant l'heure et sa tenue et se planta devant lui. Elle contempla ses cheveux noirs, ses magnifiques yeux noisettes qui devenaient dorés lorqu'ils rencontraient une raie de lumière même infime et son sourire si calme et apaisant. Elle se nicha dans ses bras, prés de son cœur. Elle retrouvait enfin la chaleur de la vie et malgré ses pieds trempés, elle ne tremblait plus.
Elle aurait aimé rester là, à jamais protégée de tout le violence qu'elle devait subir, mais il fit un pas en arrière. Il semblait comme gênait par cette étreinte si brusque et si douce. Il lui caressa les cheveux un peu maladroitement mais si délicatement qu'elle se sentit transportée dans un univers de coton, le sien sans doute. Puis il posa ses doigt sus sa bouche et elle fut si troublée que des larmes vinrent se poser au bord de ses yeux. Il recula encore d'un pas, retomba dans la pénombre et s'éloigna comme un souffle. Un souffle de vie. Elle resta planté regardant la nuit de la rue qui l'avait englouti comme si ce moment d'éternité ne reviendrait jamais. Elle sentit dans sa poche une lettre, celle qu'il était venue lui apporter. Elle rentra en silence mais d'un pas léger. Elle serait sûrement malade demain mais ça ne comptait pas. Une pluie fine recommençait à tomber. Arrivée dans sa chambre, elle alluma le lustre, elle n'avait plus sommeil. Sur son secrétaire la rose trônait, elle fronça les sourcils. Elle l'a dégagea du dos de la main, ce soir il ne gagnerait pas. Galvanisée par ce qui venait de se passer, elle lut la lettre puis entrepris de lui répondre, de lui écrire à son tour des mots d'amour et de souffrance pures comme le cristal. La nuit s'écoula en silence, au matin elle ne prit pas le temps de déjeuner et fut la première à partir.
Une semaine s'était écoulée, elle n'avait reçu aucune réponse, d'ailleurs elle ne le voyait plus. Ce matin on avait fais livrer un bouquet : des roses. Elle ne sortait plus de sa chambre, partout où elle allait, il l'a suivait en silence. Elle se sentait à présent seule, perdue dans la tempête de souffrance qui la déchiquetait toujours plus. Un papier glissa sous sa porte. Se mouvant avec peine, elle alla le ramasser. Un simple papier plié en quatre. Une seule phrase semblait perdue au milieu de la feuille blanche. Son cœur chavira, la lumière l'envahit d'un coup. Elle ne connaissait que trop bien l'écriture et la signature. A cinq heure il serait là. A l'heure où elle est seule face à son destin, il serait là pour la défendre. Elle décida alors de se préparer soigneusement, passant du temps dans sa salle de bain, choisit avec soin ses vêtements et se fit une longue natte. Elle ouvrit sa boîte à bijoux, une petite danseuse tournait au son d'une musique douce et mélancolique. Mais à ses yeux tout était gai, tout semblait respirer un profond bonheur. Elle sortit ses bracelets turquoises. A quatre heures et demie, elle se rendit à la cuisine préparer du thé. Elle fixait la pendule avec impatience. On sonna. Elle avait laissé la porte entrouverte. Le soleil baignait la cuisine et une partie de la maison dans une atmosphère chaude et intime. Elle entendit ses pas dans l'entrée. Elle l'appela. Il lui répondit et sa voix empli son cœur. L'horloge de la salle à manger sonna. Il était cinq heures. Il quitta son manteau de feutre qu'il posa sur la patère et avant de la rejoindre, déposa, en se souriant à lui même, une rose rouge sang sur la console.
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